Mai 2014 Dans Médecine, Médecine Alternative, Science
Pour une médecine qui s’appuie sur la science

Source : le blog "Sham and Science" / Auteur : Nima Yeganefar

En mars 2013 l’académie de médecine publiait un rapport analysant l’efficacité de plusieurs médecines alternatives. Elle reconnaissait une efficacité – certes faible et limitée à certaines conditions – à ces thérapies. Le temps où l’académie de médecine parlaient de « doctrines irrationnelles et antiscientifiques » semble désormais loin. Cette différence d’approche me semble être symptomatique du chemin parcouru par ce que l’on appelle la médecine basée sur les preuves et j’aimerais ici expliquer pourquoi il faut aujourd’hui défendre une médecine basée…sur la science!

Qu’est-ce que la médecine basée sur les preuves?

La pyramide ci-dessous représente ce qui est généralement considéré comme un classement de la « fiabilité » d’une preuve. Les témoignages (case reports), par exemple, sont considérés être des preuves moins rigoureuses que des études de cas témoins (case control studies), qui sont elles aussi, moins solides que des études contrôlées randomisées en double aveugle (RCT). Notons que la pyramide se termine par ce que l’on appelle des méta-analyses; il s’agit cette fois de réunir toutes les études RCT sur un sujet donné et d’en déduire une tendance globale. Ce niveau de preuve est considéré comme l’outil absolu pour déterminer l’efficacité d’un traitement. Le groupe Cochrane est d’ailleurs le groupe le plus connu pour la rigueur de ses méta-analyses, ses publications sont une référence en médecine.

Cette pyramide de hiérarchies des preuves représente donc le moyen le plus sûr selon les défenseurs de la médecine basée sur les preuves pour éliminer les thérapies se montrant inefficaces ou qui font plus de mal que de bien. Pourtant cette pyramide souffre d’une faiblesse que nous allons tenter de mettre en évidence avec quelques exemples. En basant son évaluation exclusivement sur les méta-analyses et RCT, la médecine basée sur les preuves peut parfois conduire à des contradictions car elle oublie de prendre en considération le corpus scientifique existant.pyramid12

Cas de l’homéopathie

Nous avons déjà parlé rapidement de l’homéopathie sur ce blog. Rappelons qu’il s’agit plus d’un rituel magique que d’une véritable science. La dilution à l’origine des produits homéopathiques est d’ailleurs tellement extrême qu’il n’existe bien souvent plus de molécules actives dans la pilule que vous avalez. Cette dilution pose un sérieux problème scientifique: pour que l’homéopathie ait un quelconque effet sur le corps humain sans présence de molécules actives, il faudrait remettre en cause les lois de la physique et de la chimie telles qu’on les connait aujourd’hui.

Pourtant, dans une méta-analyse sur l’efficacité de l’oscillococcinum – l’un des produits les plus connus en homéopathie – le groupe Cochrane conclut de manière surprenante: « Le niveau de preuve n’est pas suffisant pour permettre de conclure de manière solide sur l’efficacité de l’oscillococcinum dans la prévention ou le traitement de la grippe et du rhume. Nos recherches ne permettent pas d’exclure une certaine efficacité clinique mais, compte tenu de la faiblesse méthodologique des études retenues dans notre analyse, les preuves ne sont pas suffisamment convaincantes. »

Pourquoi cette conclusion est étonnante? Tout simplement parce que le processus de fabrication de l’oscillococcinum à lui seul devrait être suffisant pour conclure à l’inefficacité de ce produit. Pour mémoire, il s’agit de remplir un récipient avec une substance composée de foie de canard (?), vider ce récipient (!), le rincer avec de l’eau (!!) et répéter l’opération 200 fois (!!!). La deux-centième eau de rinçage est alors utilisée pour imprégner des granules de sucre que vous avalez ensuite. Que reste-t-il dans cette eau de rinçage? Scientifiquement, il ne reste..que de l’eau. Il est donc curieux que la méta-analyse de Cochrane ne soit pas plus tranchée dans sa conclusion, si les preuves ne sont pas suffisamment convaincantes pour montrer une efficacité, il semble important de déclarer ce produit inefficace.

Réflexologie du cul et efficacité du parachute

blog1Dans la même lignée que Sokal et Bricmont, deux scientifiques qui avaient réussi à publier un article canular dans une revue très sérieuse, une équipe de chercheurs a réussi à faire publier un article sur la « réflexologie du cul ». Il faut noter qu’il s’agissait d’une conférence sur les médecines alternatives et que l’article fut accepté sur le résumé seul. Au-delà de l’aspect franchement hilarant de cette histoire, la réalité des médecines alternatives est telle que parfois on n’est pas très loin de ce genre de thérapies qui n’ont ni queue ni tête, si je puis dire. La thérapie « Tong ren », censée vous soigner d’à-peu-près tout, consiste à taper avec un marteau magnétique sur des points d’acupuncture….d’une poupée vous représentant!! Oui, vous avez bien lu…Faudra-t-il aussi des essais cliniques randomisés (RCT), des méta-analyses pour finalement conclure qu’on ne peut pas conclure?

Une autre critique déguisée de la médecine basée sur les preuves est venue d’un article évaluant l’efficacité des parachutes par une…méta-analyse. Évidemment, comme il est difficile d’expérimenter l’efficacité d’un parachute avec une étude clinique randomisée (il faudrait comparer l’efficacité d’un parachute avec un placebo, par exemple un parachute avec des trous), il est tout autant difficile de conclure à son efficacité en suivant les principes de la médecine basée sur les preuves. On peut lire dans la conclusion: « Les défenseurs de la médecine basée sur les preuves ont critiqué l’adoption d’interventions évaluées seulement sur l’observation de données. Nous pensons qu’il sera bénéfique pour tout le monde si les partisans les plus extrêmes de la médecine basée sur les preuves participent à un essai clinique randomisé en double aveugle versus placebo dans le cas du parachute ». Cet exemple est d’ailleurs caractéristique de l’analyse du groupe Cochrane du vaccin contre la grippe, on pourra lire à ce propos cet article (en anglais) synthétisant le problème.

Si des principes de bases de physiques permettent de conclure à l’efficacité du parachute, on devrait tout autant pouvoir utiliser les principes de bases de la science pour réfuter des thérapies sans qu’il soit besoin pour cela d’exécuter des essais cliniques pas toujours éthiques soit dit en passant.

Les faiblesses de la médecine basée sur les preuves

La non prise en compte de notions de bases scientifiques sur la pyramide de preuves signalée est en cela révélateur du problème soulevé ici: la médecine basée sur les preuves tend à mettre les études cliniques randomisées (RCT) sur un piédestal et en oublie les simples considérations de science permettant à des thérapies douteuses d’être validées par l’académie de médecine.

Le cas de l’acupuncture ou bien encore des études sur les pouvoirs « paranormaux » sont une belle illustration qu’on ne peut pas toujours régler un problème avec une étude aussi rigoureuse soit-elle. Les biais méthodologiques existeront toujours et rien que le biais de publication est parfois suffisant pour donner une impression légère d’efficacité. Un article qui commence à dater montrait par exemple que 99% des études cliniques randomisées (RCT) sur l’acupuncture provenant de Chine étaient positives. Or cette efficacité hors norme ne semble se produire qu’en Chine justement. Comme en tant que scientifique nous adhérons même implicitement au réalisme de principe, il faut bien alors admettre qu’il s’agit ici d’un biais de publication. Une méta-analyse de ces RCT concluraient inévitablement (et faussement) à l’efficacité de l’acupuncture.

Au-delà de ces biais qui peuvent brouiller les résultats, nous avons aussi besoin d’adopter plus largement une philosophie bayésienne en médecine. Le raisonnement bayésien permet en effet d’actualiser la probabilité qu’une proposition soit vraie en fonction de sa probabilité a priori et des nouvelles données acquises. Ici, cela consisterait à actualiser l’efficacité d’une thérapie en fonction des nouveaux tests effectués et de l’idée que l’on a à la base de cette efficacité (par exemple en fonction de sa cohérence avec le corpus scientifique existant). L’approche bayésienne sera détaillée plus amplement dans un prochain article.

Mécanisme d’action et plausibilité

On pourrait facilement penser que je cherche ici à mettre de côté les thérapies dont on ne connaitrait pas les mécanismes d’action. Ce n’est pourtant pas le cas et de nombreux exemples historiques montrent que les scientifiques ne sont en rien bornés sur ce point. Ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas le mécanisme de quelque chose qu’on ne peut pas en voir les effets ou l’étudier. Ce n’est pas le mécanisme qui importe ici mais la plausibilité d’un traitement donné. Bouger les mains autour d’une personne ne va pas guérir cette personne de sa tumeur, ce n’est pas une question de mécanisme d’action mais de plausibilité. Vu les connaissances scientifiques actuelles, elle reste très très faible. Avant de se lancer dans de grandes études de types RCT, il faudrait au moins avoir de bonnes raisons de le faire, par exemple la constatation répétée que les tumeurs disparaissent et, encore une fois, une certaine adéquation entre le phénomène observé et le corpus scientifique existant.

Si les considérations scientifiques ne sont pas suffisantes pour évaluer l’efficacité d’un traitement, cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas nécessaires. Autrement dit, si on ne peut pas conclure à l’efficacité d’un traitement juste en considérant les aspects scientifiques de base (comme le mécanisme d’action), on peut néanmoins conclure qu’un traitement est si peu probable qu’il n’est pas utile de se lancer dans de grandes études de type RCT à moins d’obtenir des preuves suffisamment fortes les justifiant. Pour toutes ces raisons, la médecine doit aujourd’hui se baser non seulement sur les preuves mais aussi sur la science.

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